Le crash de Tourniol (1989)

 

Le lundi 10 avril 1989 à 20 heures et quelques minutes, nous sommes alertés par un commandant de gendarmerie qui frappe à ma porte pour m'annoncer que l'avion Paris Valence, un Fokker 27, vient de s'écraser contre la paroi verticale de Pierrechauve, près du col de Tourniol.

Commence alors une nuit d'horreur. Des centaines de personnes vont bientôt affluer. La nuit est glacée, givrée. Les équipes de secours risquent leur vie sur les pentes qui mènent à l'épave. Peu à peu les restes, déchiquetés pour la plupart, dans des sac de plastique, sont placés sur le sol du cloître . Les familles arriveront toute la nuit pour une reconnaissance difficile parfois contestée. Des familles dont certaines viendront d'Allemagne et de Hollande, laissent éclater leur douleur, leur horreur, leurs violences verbales aussi sur les causes de l'accident. Prévenir les familles ne fût pas chose facile et l'aéroport de Chabeuil était fermé à cette heure.


Pour nous pendant des jours et des semaines nous serons à la disposition de tous pour réconforter, aider aux démarches administratives. La commune de Barbières et celle de Léoncel n'iront-elles pas jusqu'à revendiquer le lieu exact de l'accident. L'apic est de 600 mètres à la verticale: allez dire où passe la "frontière", question ,pitoyable en de tels moments, pour les deux communes!!! J'ai peine à le dire mais j'ai saisi là un aspect du caractère de cet âpre Vercors 


Nous avons aidé à préparer la célébration oecuménique qui aura lieu deux jours après. Arméniens, Protestants, Catholiques prieront ensemble dans l'église comble. A une seconde près, l'avion passait par-dessus le col et venait s'écraser sur le clocher lui-même, peut-être... Monseigneur Marchand sera entouré d'un pasteur et d'un prêtre arménien, sans préséance. Il n'y en pas dans la mort. Quatre jeunes victimes sur les 22, sont désormais nos protecteurs auprès de Dieu et je les invoque souvent. L'un d'eux a confié à sa mère, peu avant de monter dans l'avion, qu'il ne devait pas prendre d'ailleurs, ces quelques phrases:


Je voudrais aller plus vite que la lumière.
Je voudrais savoir parler aux animaux.
Je voudrais être immortel!


Un autre tenait en mains en montant dans l'avion un bocal avec ses poissons rouges. Il avait fait peu avant un dessin prémonitoire:le sommet d'une montagne, terminé par une croix;en contre-bas une église; et, entre les deux comme un fantôme flottant dans les airs. Comment ne pas se poser des questions? 


J'ai gardé précieusement tous les documents relatifs à cet accident. Surtout les lettres des familles. Elles témoignent le plus souvent de la Foi de leurs auteurs.


Les années ont passé. Les familles sont fidèles aux lieux et viennent nous saluer.
Cet accident a marqué Léoncel. Je ne crois pas à un hasard. Dieu avait choisi ce lieu pour un dessein qui nous échappe et qui ne peut être que source de grâces.


Pour moi il est à l'origine d'un cruel zona qui va changer le déroulement de la restauration. En effet, je l'ai dit, Xavier de Muyser est venu définitivement assurer l'accueil. et sans sa présence bénévole tous les jours et à toute heure, l'église aurait refermé sa porte et la Halte de Prière se serait arrêtée. Le dimanche l'assemblée paroissiale sans prêtre aurait été difficilement assurée. La Providence a veillé de manière tout à fait imprévisible. 


J'en dis deux mots. maintenant, Xavier est le petit-fils de ma soeur grenobloise. Celle-ci est venue pendant de nombreuses années passer deux mois l'été ;Elle m'a beaucoup aidée et en particulier, elle ornait l'église de magnifiques grands bouquets des champs qui donnaient un air de fête à l'église. Les visiteurs s'en émerveillaient!Avec elle vinrent alors chaque été la "cousine de Bretagne", puis celles de Romans, puis Jacqueline, qui voudra reposer dans le cimetière de Léoncel. Leurs amies et amies d'amies défilèrent aussi pendant des années. Madame de Gaule, belle-soeur du général et son fils Père blanc à Ouagadougou .Elles louaient les chalets, construits de ses mains, par Julien Bouchet au col de Bacchus; La vie devint très animée en été. Les visiteurs de plus en plus nombreux nous provoquèrent à tout mettre en état; mettant la main aux sols craquelés, aux murs moussus, au mobilier à sauver etc..;

Pour permettre la Halte de Prière quotidienne je fus amenée à dessiner et à faire exécuter par notre ami menuisier Krekelberg un bel ensemble liturgique en bois massif; à créer la sonorisation; des chauffages successifs. Nous sommes passés des bûches dans le gros poêle de 1860, au fuel, au gaz, à l'électricité, à l'infra-rouge..... Tous ces équipements me coûtèrent très cher. Je n'ai jamais rien demandé ni à la paroisse, ni à la Mairie, ni au Diocèse. Je dirai plus loin comment nous avons pu rendre l'église tellement accueillante qu'elle restait rarement vide. Une musique de fond était au gré des demandes. Nous avons acquis alors une belle collection de musique religieuse, chant hébraïque comme chants de la Liturgie Orthodoxe, maronite etc..grégorien. Nous reçûmes plusieurs fois avec ses élèves pour des séjours de travail un éminent spécialiste de Grégorien Mr Damien Poiblaud  Il donna plusieurs concerts qui ont laissé un souvenir intense Malheureusement ( ou heureusement?) il devait revenir à la vie laïque et même se marier à Léoncel. Mais Dieu seul sonde les coeurs et nous le gardons dans notre prière.

 
Donc la vie a continué sur place tandis que j'allais de traitement en traitement. Mais jamais je n'ai relâché mon effort dans toutes les directions. J'ose le dire: j'ai mené, seule, la vie d'une petite communauté, jusqu'en 1989. Mais j'étais bien aidée, diversement d'ailleurs Toutefois les Amis de Léoncel ne sont jamais venus sur place faire des "permanences".


Il fallait créer la prairie arrière, défricher la cour, planter.
 Il fallait être disponibles à tout moment. L'on ne pouvait renvoyer des gens venant souvent de très loin. Il y eut quelques incidents, rares, à vrai dire., provoqués par les exigences des visiteurs, souvent étrangers, qui nous croyaient salariés et nous requéraient à toute heure du jour et de la nuit ; très exigeantes parfois soit pour visiter à n'importe heure, soit pour ne pas trouver tout ce que l'on trouve souvent dans les monuments historiques comme documents, cartes, panneaux "etc. 

Nous étions partis de rien et le moindre équipement était à nos frais.. En 23 ans cependant, l'essentiel était fait et nous étions encouragés, félicités. Oui, c'était une résurrection. Les visites ont été parfois gratuites , parfois payantes, parfois laissées à la générosité. Mais nous avons "tenu" financièrement, d'abord avec ma petite retraite de religieuse. Mais aussi avec la vente de nos icônes, comme j'en ai déjà parlé. Plus tard nous avons pris en dépôt les cassettes de flûte de Pan , de Mara, très demandées; puis les cartes de fleurs séchées de notre amie hollandaise Trudy. Les confitures de fruits sauvages de Maryline, aussi eurent du succés.


J'avais installé sur un terrain appartenant à Monsieur Bouchet, un petit chalet où nous avons vendu mes icônes. Depuis, il s'est agrandi et a changé de place. La cour de la mairie, en friches à mon arrivée, était devenue fleurie, avec un gazon; des chaises, des tables étaient à la disposition de quiconque. Noël Mazzoleni fera vers 1995 de belles tables, costaudes, comme en font les bûcherons dans les bois. Les abords de l'église, devant comme derrière, furent entretenus, fleuris, accueillants. Je fis labourer, toujours à mes frais, la grande prairie arrière , appartenant à la mairie. Elle ne me donna jamais une subvention pour tout ce travail de valorisation, systématique, des lieux pendant plus de vingt ans. Je signale que j'ai payé ma location, dès le début, et que le diocèse me l'a remboursé chaque année. La restauration des lieux, l'animation, d'une part; d'autre part, l'animation liturgique et paroissiale, ont été, pour ma joie, totalement bénévoles. Fondatrice et non appelée à une mission, j'étais là parce que je l'ai voulu. Ni la mairie, nie le diocèse ne m'ont appelée. S'il est vrai que l'on reconnaît, parfois du bout des lèvres, le travail et la réussite, chacun en a profité pour son intérêt propre. Mais je suis venue en service , librement, et je n'attends rien de personne en ce monde. C'est moi qui suis redevable à la Providence de m'avoir donné la possibilité à la fois d'exercer ce ministère en tant que femme, et d'avoir eu les joies de faire revivre une église qui est le joyau roman du Dauphiné.et pourrait inspirer bien des lieux d'Europe dont le patrimoine tombe en ruines et témoigne encore de la chrétienté rurale du moyen Age.


J'y ai consacré tous mes moyens. J'ai donné sans retour.


Si aujourd'hui, je défends contre toute sagesse humaine et contre l'autorité cléricale, la gestion de la Maison Saint Hugues, c'est par fidélité au charisme que j'ai reçu de Dieu et que ces 27 ans ont authentifié. J'ai tout donné immédiatement à la Communion Sainte Marie de l'Église, qui est totalement en service, en "diaconie", pour le diocèse. Le paradoxe est que j'ai travaillé pour le diocèse et que celui-ci veut prendre ce que je veux donner!!!Je lui avais fait confiance: il l'a trahie! J'y vois autant de sottise que de jalousie. Le diocèse sait bien que la Communion est à son service depuis le début. J'ai l'air à la fois de tout avoir donné et en même temps de revendiquer aujourd'hui une propriété morale sur la restauration. C'est vrai mais je ne défends pas autre chose que le dépôt reçu de la Providence et qui aujourd'hui est défiguré et prive d'y être fidèle ceux et celles qui y ont cru, avec tout le diocèse pendant de nombreuses années: de 1974 à 1996.

 

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