Le mouvement Cistercien 

Robert de Molesme, l'initiateur du mouvement cistercien est épris de vie parfaite. 
Moine bénédictin de Montier-la Celle, en Champagne, devenu prieur de ce monastère, puis abbé de Saint-Michel de Tonnerre puis prieur de Saint-Ayoul de Provins il était obsédé par un désir d'absolu. 
Aussi en vint-il à quitter son prieuré pour se joindre à un groupe
d'ermites et s'adonner avec eux à la pénitence.

A la fin de 1075, suivi de ses compagnons, il s'installe dans la forêt de Molesme et y établit un monastère qu'il place sous la protection de la Vierge, et qu'il souhaite exemplaire.

Le geste ne demeure pas sans écho. Les vocations affluent. Parmi elles un Anglais, Étienne Harding, qui deviendra second abbé de Cîteaux et laissera son nom à la Bible du monastère, d'autres encore
Albéric, Étienne, qui seront étroitement associés aux origines de l'ordre. 
Bruno, le futur fondateur de la Grande-Chartreuse, vint aussi s'initier à la vie monastique à Molesme.

Toutefois, un renom spirituel s'établit rarement sans que des ombres ne viennent se joindre à la lumière. 
C'est ainsi que Molesme devint une sorte de lieu de rencontre entre seigneurs du voisinage, et une certaine faveur mondaine s'en empare, chose qui n'est point pour plaire à Robert, on le devine.

Aussi, avec l'agrément d'Hugues de Romans, archevêque de Lyon et légat pontifical, décide-t-il, une fois encore, de fuir son monastère, avec vingt et un de ses moines, en un nouvel exode vers une nouvelle terre promise : le Novum Monasterium qui deviendra Cîteaux. 

Si Molesme trahissait un souci de vie parfaite, Cîteaux plus encore, représente un effort de retour à la pureté originelle de la Règle de saint Benoît, par-delà les interprétations et inflexions apportées par les siècles. Pauvreté, pénitence, solitude forment les bases Nouveau Monastère.

Les débuts furent pénibles (Cîteaux était un lieu insalubre et stérile). Ils furent surmontés cependant grâce à l'appui du duc de Bourgogne, protecteur de la jeune fondation. 

Autre épreuve : Robert, rappelé par les moines de Molesme, est contraint d'abandonner Cîteaux. Il n'a pas renoncé à ses rêves de vie parfaite toutefois et il profitera de son retour pour réformer Molesme, dans la mesure du possible.

Albéric prend alors la tête du Nouveau Monastère. Abbé, il édicte les premiers règlements de Cîteaux et donne à sa famille religieuse un admirable élan.

A sa mort (1109), Étienne Harding lui succède. A son tour, celui-ci accentue l'austérité de l'ordre et a la joie, en même temps que l'insigne privilège, d'admettre en son monastère - dans un moment particulièrement difficile - le jeune Bernard de Fontaine, futur St Bernard, accompagné de trente autres gentilshommes bourguignons (1112). Cette vocation assurément peu commune sera désormais associée au renom et au rayonnement de Cîteaux.

Le développement de l'abbaye suit une progression stupéfiante.
De 1113 à 1115, quatre fondations voient le jour : La Ferté, Pontigny, Clairvaux, Morimond. 
Ces nouvelles abbayes, elles-mêmes fécondes, donnent naissance à de nombreuses filiales, à tel point qu'en 1119, lorsque le pape Calixte II confirme la « Charte de Charité » qui régit le nouvel ordre, celui-ci compte déjà 17 abbayes.! 
Ce chiffre sera porté à 73, à la mort d'Étienne Harding, vingt cinq ans plus tard; 
à 393 à la mort de saint Bernard, en 1153;
 pour atteindre, par la suite, jusqu'à 742 monastères ! Ceux-ci s'épanouiront de l'Irlande à la Syrie, soit dans toute la chrétienté d'alors.

C'est le printemps cistercien !



Comme les abbayes étaient fort peuplées (Clairvaux compta jusqu'à 700 âmes), on peut juger de l'importance de la réforme et du retentissement qu'elle connut.

Mais, de toutes les abbayes cisterciennes, avec Cîteaux, chef d'ordre, c'est sans doute Clairvaux qui l'emporte.
Clairvaux, c'est en effet saint Bernard. fondateur et jeune abbé de ce monastère, celui-ci peut être considéré comme le deuxième père des cisterciens, tant sa personnalité, son ascendant et sa doctrine ont marqué l'ordre entier. Et non seulement l'ordre, mais la chrétienté, car, de 1115 à 1153, saint Bernard a rayonné un peu partout, allant prêcher, entre autres, à Vézelay la deuxième croisade (1146) et s'imposant dans toutes les cours d'Europe et jusqu'à Rome, où le pape Eugène III était lui même cistercien.

Par la force des choses, Clairvaux devenait modérateur de l'ordre, puis de la vie monastique, voire de la chrétienté.
Le renoncement absolu n'est point en effet tendance naturelle chez l'homme. et c'est en accentuant cette exigence, en la prônant à temps et contretemps, qu'on peut prévenir un relâchement qui serait dans la nature des choses.

A l'instant où Cîteaux se fonde, le renoncement est certes voulu, mais il est aussi imposé par les circonstances.
Les premiers baraquements sont modestes et le train de vie réduit à son plus strict minimum. 
Mais, avec le temps, les choses risquent de changer....aussi la chapelle primitive de Clairvaux est-elle restreinte, sur plan carré, couverte d' une simple charpente et ses murs ne sont-ils percés que de méchantes fenêtres. A un tel édifice ne pouvait répondre qu'une extrême nudité intérieure.

Toutefois, les vocations affluent; force est bien d'envisager des remaniements du domaine.
Le prieur, Godefroi, vient entretenir saint Bernard de la chose. Celui-ci, pressentant le péril, se refuse d'abord à envisager des constructions nouvelles. Il faut pourtant bien s'y résoudre. Le comte Thibaut de Champagne assurant une contribution financière, il y aurait quelque risque de céder à la tentation et de faire les choses grandement. Les origines sont encore trop proches pour qu'on se laisse aller, et, par ailleurs, saint Bernard veille.

Il est certain, toutefois, que les prescriptions devaient se renforcer sans cesse, accroître les exigences de pauvreté, car si jusque-là, par la force des choses, on était obligé d'observer un quasi dénuement, il fallait que ce dernier devînt toujours plus sensible et volontaire, à mesure que normalement, l'on aurait dû connaître une abondance toujours plus grande.

Obligé d'insister sans cesse sur cet esprit, raison d'être de la réforme, dans son ordre, saint Bernard ne pouvait manquer de s'en faire le champion à l'extérieur. C'est ainsi qu'il s'en prit à Cluny surtout, dont les perspectives sur ce plan étaient assez différentes. Deux interprétations de la même règle, toutes deux bénies par la Providence, ne pouvaient manquer de s'affronter un jour ou l'autre.

En fait, à la lumière de l'histoire, nous voyons mieux aujourd'hui comment Bernard annonçait des temps à venir où la pauvreté prendrait, dans la vie religieuse, une importance hors pair. 
Il est sûr que son appel présage le dialogue de François d'Assise et de Dame pauvreté. 
Comme il est vrai aussi que la spiritualité bernardine engage la vie d'union à Dieu dans les voies qui l'éloignent quelque peu des perspectives jusqu'alors courantes, pour l'engager dans un climat plus affectif, où l'humanité du Christ, la Vierge, les Saints, prennent un relief accru.


Toutefois, saint Bernard entend bien s'intégrer dans la tradition monastique la plus ancienne. S'il pressent le climat religieux des temps nouveaux, il n'envisage pas de vie meilleure, pour l'âme éprise de perfection, que la vie monastique, telle que l'a codifiée saint Benoît. Certes, il admet d'autres vocations : il suit avec une extrême sympathie la naissance des prémontrés et conclut avec Norbert une sorte de traité d'alliance entre son ordre et le sien. Mais, pour lui, fidèle à l'idéal ancien, il prétend bien plutôt le rejoindre au-delà des mitigations imposées par les siècles, que l'orienter sur des voies nouvelles.

Ainsi l'ordre cistercien apparaît-il comme une position d'équilibre entre la tradition du haut Moyen Age et l'esprit qui animera la fin du Moyen Age et les temps modernes. A l'intérieur des formes anciennes, s'insinue un esprit nouveau, une spiritualité nouvelle, ce qui serait impossible si cet esprit et cette spiritualité n'allaient pas chercher leur origine dans la lettre même de la règle, apte à informer la vie monastique au long des siècles.

Mais, en réalité, les temps qui viennent apportent avec eux des transformations si profondes que l'idéal de saint Bernard, lui-même, plus accordé aux tendances nouvelles que celui de Cluny, ne saura résister à leur assaut.

De fait la décadence menace bientôt l'ordre cistercien, comme l'ordre monastique tout entier. Dès le XIIIe siècle se font jour des tendances contraires à l'esprit des origines. « L'amour de la propriété » pénètre les monastères et la richesse étouffe peu à peu l'ardeur des moines. Par leur travail - manuel et agricole - les cisterciens acquièrent une puissance à laquelle ils ne résistent pas sans peine. En dépit des réactions qui se manifestent à diverses reprises, la décadence menace.

La réforme de Rancé, au XVIIe siècle, la plus fameuse et la plus rigoureuse, ne saura épargner à l'ordre une déchéance que sanctionnera, un peu partout en France, la Révolution. elle donnera naissance aux trappiste dits de la stricte observance poursuivant celle des "feuillants" et celle des "bernardines" plus anciennes et plus strictes encore : silence absolu, clôture stricte, ascèses et jeûnes poussés aux limites extrêmes, offices de nuit et l'on dort sur une planche tout habillé pour se lever plus vite...

Et pourtant, l'un des rares sans doute parmi les familles monastiques, l'ordre cistercien a su traverser la tourmente et recouvrer une vie nouvelle avec la Restauration. 

Pour abriter les moines, pour leur permettre d'assurer les divers offices de leur vie, force était de construire des édifices claustraux. Cette architecture indispensable, on la voulait du moins dépouillée à l'extrême et nullement ostentatoire.

Il est certain que l'église de Fontenay, par exemple, frappe non seulement par l'extrême nudité de ses formes, mais aussi par la manière dont ses proportions singulièrement vastes cependant, paraissent modestes. 
Aucun clocher, aucune tour, qui traduiraient, inconsciemment ou non, une sorte de satisfaction, de contentement de soi, ou quelque instinct secret de domination.
Le décor est donc prohibé. La sculpture n'apparaît pour ainsi dire pas dans l'art cistercien. Souvent les chapiteaux sont nus, réduits à des formes architecturales simples et stéréotypées, ou même taillés sans ambition artisanale. Au Thoronet et à Sénanque, les structures sont telles qu'elles évitent l'emploi de chapiteaux ou de surfaces pouvant appeler un décor. Bref,un dépouillement volontaire, un dénuement complet, qu'on a rarement poussés à ce point.
N'était-ce point trop exiger des bâtisseurs, comme aussi des moines qui devaient habiter ces lieux ?


Saint Benoît, dans sa Règle, ne demande aux artisans du monastère qu'obéissance, humilité, détachement des richesses. Il semble que l'art ait été jusqu'alors entendu comme un langage, un geste, dont la réalité propre n'existait pas au regard des réalités célestes qu'il prétendait signifier et qu'il pouvait aider à atteindre. Qu'un monastère fût orné de sculptures, de peintures, de vitraux, que ses manuscrits fussent décorés, que les objets et vêtements liturgiques connussent un certain éclat, tout ceci semblait naturel. On ne saurait dénier aux anciens moines une vie spirituelle véritable sous le prétexte qu'ils faisaient trop large place à l'art celui-ci étant entendu, redisons-le, non comme un délassement, un jeu, une délectation, mais comme un acte, significatif d'une réalité plus haute.

Les cisterciens - et saint Bernard surtout - s'élèvent sur ce point contre une donnée traditionnelle. Ils Posent, pour la première fois, semble-t-il, la question de l'esthétique en tant que telle et entendent pousser le renoncement sur le domaine de l'art, dans lequel saint Bernard, dans l'Apologie, ne veut voir qu'une source de dépenses superflues et de vaines et absurdes distractions.

Question terrible, parce que à proprement parler insoluble. S'il fallait être logique en effet, c'est à l'art même qu'il faudrait renoncer. Alors on aurait encore plus de mérite à vivre dans un cadre affreux, dans un horrible décor que dans un monastère, celui-ci fût-il aussi dépouillé qu'un monastère cistercien . Mais l'habitude est une terrible maîtresse. Qui sait si l'on ne finirait pas par aimer un tel cadre et s'y complaire ? La mode n'impose-t-elle pas parfois des sacrifices de ce genre qui, à la longue, paraissent délectables ?

On rapporte un  reproche que d'aucuns faisaient aux cisterciens : « Pourquoi construisez-vous ainsi, vous qui louez si fort le désintéressement, la pénitence et la pauvreté ? Vous devriez vous contenter de l'indispensable et donner le reste aux pauvres ».

Rien de plus difficile que de parvenir, en de tels domaines, à un réel équilibre 

A la vérité, qu'il y ait un certain côté inhumain, dans les exigences cisterciennes sur ce point, l'histoire le montre : si l'on étudie les abbayes - et encore plus les manuscrits on s'aperçoit vite que, de-ci de-là, s'infiltrent plusieurs infidélités à la lettre de la Règle : chapiteaux légèrement ou franchement sculptés, têtes humaines (voire figure diabolique à Sénanque) prouvent qu'on ne saurait trop exiger d'un sculpteur. L'architecture elle-même ne connaît pas partout la même rigueur.

Mais là où, semble-t-il, les prescriptions eurent le plus de peine à s'établir (et où elles ne jouèrent que peu de temps) c'est dans le domaine de l'enluminure. Ici sans doute la tradition était trop ancienne pour que l'on fût en mesure de l'entraver réellement.

L'activité du scriptorium a été, de tout temps, l'indice de la ferveur d'un monastère. 
C'est que, en celui-ci, le manuscrit joue un rôle essentiel. Pour réciter l'office, pour s'appliquer à la lectio divina qu'impose la Règle, le manuscrit est indispensable.
A Cîteaux, son importance était d'autant plus grande que nue, partant de rien, la bibliothèque, tant conventuelle que chorale, devait être créée entièrement. L'activité du scriptorium devait donc être intense.

Nous savons ainsi que Robert, rappelé à Molesme, laissa à Cîteaux, outre sa propre chapelle, ses livres personnels, ne redemandant qu'un bréviaire. Encore accepta-t-il de le laisser entre les mains des moines de Cîteaux jusqu'à la Saint-Jean, afin que ces derniers en pussent établir une copie.

Les témoignages qui nous restent de l'activité du scriptorium de Cîteaux, dans les premiers temps de la fondation, nous prouvent que, sur ce plan du moins, nulle différence d'esprit ne distingue ses oeuvres de celles des autres abbayes. C'est tout juste si elles sont marquées par un surcroît d'humour. En tout cas, l'or lui-même n'y fait pas défaut
Il y avait là contradiction par trop flagrante pour qu'elle pût échapper aux modérateurs de l'ordre. Des règles draconiennes viennent réglementer la décoration des manuscrits : celle-ci doit se limiter aux seules lettres initiales et encore doit-elle rejeter toute figuration et se borner à l'emploi d'une seule couleur.


Il semble que la prescription n'ait pas été suivie avec ardeur 
Des lettres dessinées, avec quelques essais de couleur, mais inachevées, à Cîteaux, laissent entendre qu'on fit preuve d'excellent vouloir. Les manuscrits de Clairvaux, jusqu'à la mort de saint Bernard, prouvent aussi que l'on s'efforça en cette abbaye, de suivre la lettre de la prescription. Mais celle-ci devait être oubliée rapidement.
Pourquoi en ce domaine surtout, la réforme fut-elle si passagère ? Déjà l'on peut penser que le manuscrit est un objet privé, moins à la vue du grand nombre. Si la sculpture dans un monastère ne peut passer inaperçue, l'enluminure est plus discrète et semble avoir moins d'importance, sinon moins d'influence.

Mais il semble qu'il faille dire davantage. L'activité du scriptorium, nous l'avons noté, est l'une des plus traditionnelles, à l'intérieur d'un monastère. Elle est même signe de santé spirituelle et de ferveur. Sans doute convenait-il de ménager davantage les copistes que les autres artisans du monastère
En outre, le fait d'enluminer un manuscrit était si normal, il était tellement inclus dans la coutume monastiques (certains abbés s'y appliquaient) que la prohibition des Insiituta devait paraître abusive.

L'enluminure au Moyen Age, comme tout autre art, n'avait rien d'un délassement esthétique, il convient d'insister là-dessus. C'était, bien au contraire, une excellente discipline, qui exigeait plus de renoncement et d'ascèse qu'elle ne donnait de joie. Voilà pourquoi elle fleurissait si volontiers dans les monastères. En outre, loin du joli décor gothique, à fleurettes et histoires où l'or ruisselle, l'authentique enluminure du haut Moyen Age, prise entre la tradition byzantine et la tradition irlandaise, obéit à une ordonnance très stricte qui, en dépit d'une souplesse remarquable, n'en est pas moins rigoureuse. On peut penser qu'elle constituait une assez bonne école de renoncement, puisque les moines irlandais, maîtres en matière d'austérité et durs envers eux-mêmes, n'eurent pas un seul instant l'idée qu'en peignant des manuscrits, ils pouvaient satisfaire un obscur appétit de jouissance, inscrit au plus profond d'eux-mêmes! D'ailleurs, il suffit de contempler leur art pour comprendre qu'il s'agit là d'un message éminemment spirituel où l'anecdote n'est rien auprès de l'entrelacs, dont le mystère reste central et essentiel.

Et puis, l'homme ne saurait dépasser les limites de sa nature. A l'instant où l'on restreint certaines de ses tendances, d'autres, subtilement, par de savantes contre-attaques, tentent de regagner du terrain.
Saint Bernard, si exigeant dans le domaine du visuel, a-t-il jamais soupçonné que le style oratoire dont il usait - celui de son temps, magistralement employé - pouvait être entaché, lui aussi, d'embellissements inutiles ou tout au moins superflus ? « Les murs de ses monastères sont nus, mais non son style... Les cisterciens ont renoncé à tout sauf à l'art de bien écrire ». Peut-être l'habitude a-t-elle rendu Bernard aveugle sur ce point. Peut-être, au contraire, a-t-il sciemment admis cette compensation par laquelle il rendait à ses moines, saintement, ce qu'il leur retirait sur d'autres plans ? La pauvreté ne pouvait s'offusquer d'un tel luxe d'images. La religion non plus, car Bernard n'en usait que pour engager ses fils à plus de charité et de ferveur...

Autre preuve -. la doctrine de saint Bernard s'ouvre à l'affectivité. Elle accorde à la sensibilité du fidèle plus que ne l'ont fait les âges antérieurs. Ainsi, ce qui est refusé sur un plan est rendu sur un autre. Mais s'il est refusé sur ce plan, c'est parce qu'un événement vient de se produire, que l'art vient de perdre son essence religieuse pour devenir une pure technique profane.
Si saint Bernard est le premier - et là réside en partie son génie -, il inaugure une spiritualité, une méthode de pensée qui seront celles de ses successeurs. Du moins de ceux qui prendront l'Évangile à la lettre et voudront suivre les conseils du Maître, porter la croix avec lui et embrasser la vie parfaite. Le nada de saint jean de la Croix est déjà perceptible au travers des refus de saint Bernard.

Ainsi la pensée chrétienne va-t-elle bientôt s'exprimer en deux voix discordantes. L'une, humaniste, celle de la Renaissance, proclame que la création est bonne et que tout l'humain peut être assumé sans risque par la foi. L'art, de soi profane, devient religieux dès l'instant où il est mis au service de sujets ou d'édifices religieux. A l'inverse, l'autre, anti humaniste, refuse tout art, dans lequel elle dénonce un assouvissement, une jouissance qu'un vrai disciple du Christ crucifié doit sacrifier à son Maître.

( extrait trouvé sur le net)