Eléments biographiques

 

Maintenant je vais surtout suivre mon propre itinéraire, à partir de mon entrée au Monastère des Tourelles, à Montpellier, le 7 mars 1942.


Après ma démobilisation je suis revenue à Domène. Nous étions encore en zone libre.
J'ai pris des responsabilités dans le "Secours National", pour l'aide aux familles de prisonniers surtout. J'ai continué activement ma vie de cheftaine de louveteaux. Notre clan de cheftaines était très motivé et nos réunions vivantes. Sur une douzaine de cheftaines, une bonne moitié entrerait dans la vie religieuse. C'est assez étonnant.
Véronique Gariel, me rejoindra aux Tourelles. Bénédictines, Dominicaines des Campagnes,soeur de Saint Vincent de Paul ... j'ai oublié.
 J'ai connu les Dominicaines des Tourelles par le Père des Alleux, nom de maquis du Père Vandevoorde. Il avait compris mon aspiration à une vie nourrie de théologie et d'Ecriture Sainte. Les Tourelles incluait un cycle d'études philosophiques et théologiques dans la formation, avant la profession perpétuelle. Il a identifié ma vocation dominicaine. ignorant tout de la vie religieuse dans tel ou tel ordre.

C'est en 1898 que Mère Thérèse, maîtresse des novices au monastère de Prouilhe, où saint
Dominique avait inauguré la "Sainte Prédication",eût l'intuition géniale de nourrir la vie contemplative des soeurs par des études comme celles des pères de l'Ordre. Le Père Lagrange, le Cardinal de Cabrières, évêque de Montpellier,et de nombreux Pères, par la suite, lui apportèrent un soutien compétent et dirigèrent vers sa fondation des vocations de haut niveau culturel.
Les soeurs furent initiées au grec biblique comme à l'hébreu et un cycle de trois ans de philosophie et de trois ans de théologie, fut institué pendant le noviciat profès, puis après ce fut une immense nouveauté, d'abord inaperçue, mais qui, 50 ans après, grâce aux sessions de formation des supérieures puis des soeurs, allaient se répandre dans tout l'Eglise. Aujourd'hui, c'est une composante généralisée de toute formation religieuse, même dans les abbayes et monastères qui ont gardé la clôture.

.La guerre de 1914-1918 perturba grandement la communauté naissante, par des déménagements successifs et la pauvreté.. Mais, la guerre finie, ayant vécu sans grilles pendant tout ce temps, les soeurs comprirent que la clôture devait être aménagée sans modifier en profondeur la vie contemplative. Les grilles ne furent pas reprises comme tout naturellement.

 De 1920 à 1942 la communauté reçut des vocations de grande valeur humaine et religieuse et fit des fondations dont l'une à Sarcelles, près de Paris. Les séparations paraissaient devoir être définitives!!! Mais les liens, en fait, se révélaient plus solides que ces ruptures et la question de conserver des liens canoniques commença à se poser.. Mère Emmanuel, venue de Prouilhe avec Mère Thérèse, était incertaine en elle-même : garder des liens impliquait la perte d'un statut de monastère, autonome de soi. Les avis étaient partagés.

Novice encore, j'ai été peu mêlée aux discussions qui se passaient "en communauté", ou au chapitre. Quand vint ma profession, le 29 septembre 1943 , j'ai fait profession sur les Constitutions des Moniales, certaine d'être moniale. Je savais qu'il y avait de nombreux échanges avec la congrégation des Religieux à Rome et que Les Tourelles n'arrivaient pas à obtenir de conserver le statut de moniale et de garder des liens canoniques avec ses fondations. Des clans s'esquissaient entre les tenants des traditions venues de Prouilhe et celles qui envisageaient des restructurations très radicales, encore imprécises.

Je reviens un peu en arrière. J'étais entrée au noviciat le 7 mars 1942, alors que la communauté qui avait déjà essaimé en Italie,et près de Paris, faisait des démarches à Rome pour adapter les constitutions à leur vie nouvelle, telle que les nécessités de la guerre l'avait façonnée. Mais toutes n'étaient pas d'accord: certaines plus attachées aux origines à Prouilhe, d'autres plus hardies entrevoyaient déjà l'accès à l'université, au studium des Pères, à l'apostolat en milieu universitaire.
Une cassure s'accentuait. Ouverture mais crainte d'un côté; aventure et précipitation de l'autre??.: je ne pouvais m'engager ni d'un côté ni de l'autre. Des clans se formaient autour de certaines qui prenaient la tête d'un courant. La charité se dissolvait.

Soeur Antonin avait été élue prieure. Elle était à la tête du courant le plus audacieux dans les réformes et adaptations; j'estime qu'elle manquait de jugement. Comment avait pu se faire cette première élection, si ce n'est par un conditionnement habile des indécises, le plus grand nombre, je crois. Mère Emmanuel était restée prieure depuis la mort de Mère Thérèse et le besoin de changement était évident. L'échec de ce priorat était certain. D'origine corse, soeur Antonin avait un caractère entier et elle n'était pas faite pour faire faire la traversée difficile vers pareille nouveauté à des soeurs déjà âgées pour une bonne part. La rupture était inévitable. Elle eût lieu le 16 novembre 1946.

Pendant les mois qui précédèrent, le noviciat fût emmené à la campagne, toute la journée, en pique-nique; on rentrait pour les vêpres, comme "ni vu ni connu" de la communauté. La maîtresse des novices, acquise à un projet de refondation dans la région parisienne,essaya de nous en convaincre chacune. Soeur Véronique Gariel et moi, choquées de la manipulation au cours de sorties inimaginables à l'époque, résistèrent . Nous nous marginalisions ainsi car, très vite, aux novices s'adjoignirent à ces sorties irrégulières,les professes pressenties pour cette refondation.

 Certaines se laissèrent convaincre et le 16 novembre, c'est près de la moitié des professes et les novices, sauf deux, qui, par la grande allée, tournaient définitivement le dos aux Tourelles issues de Prouilhe.
Certaines revinrent cependant. La refondation s'émietta vite et chacune partit de son côté, soit pour entrer dans d'autres communautés de l'Ordre; soit pour tenter une vie nouvelle, à deux ou trois et même quatre.

Je restais seule jeune, encore novice, mais j'aurais dû faire profession perpétuelle le 29 septembre.. Celle-ci fût retardée jusqu'au 13 avril 1947. J'avais fait profession en 1943 selon les constitutions des Moniales de l'Ordre des Prêcheurs. Les nouvelles constitutions péniblement à l'étude depuis des années n'étaient toujours pas approuvées. Il s'agissait de passer du statut de moniale à celui de congrégation contemplative. Ce changement avait été largement approuvé même par les anciennes mais quand il fallut rédiger des statuts et les faire approuver par Rome,les divergences empêchèrent un consensus qui ne se fera que beaucoup plus tard, après la scission.

Seule avec des anciennes qui ne comprirent peut-être pas mon angoisse, à la veille normalement de ma profession,. Mère Emmanuel, compagne de Mère Thérèse et qui lui avait succédé comme prieure depuis sa mort, ne voulait pas de la dérive inévitable qui allait suivre ce changement de statut, très conséquent. Elle me dit, peu avant sa mort:"Ma petite fille, non je n'ai pas voulu cela; non je ne l'ai pas voulu" ... Je me fiais à elle et je refusais à la fois de partir avec le groupe important qui voulait refonder les Tourelles sur des idées aventureuses, , se détachant des lieux mêmes des Tourelles pour l'aventure parisienne,; comme de me rallier à telle ancienne , qui tentait de rallier celles qui restaient. Une nouvelle prieure fût cependant élue. qui estimait être détentrice du charisme initial.

Je me trouvais marginalisée. D'autant que, seule novice après le 16 novembre, , très vite des postulantes vinrent reconstituer un petit noviciat . Je leur fus réunie et ce me fût très pénible. Très vite, sous l'impulsion de la maîtresse des novices qui pensait, avec elles, renouveler les Tourelles, pour de bon, elles se considérèrent comme la nouvelle génération, celle du vrai renouveau et elles prendront très vite l'avenir en mains. Les anciennes furent heureuses en général de ces jeunes qui n'avaient pas craint de les rejoindre en pleine crise. J'étais en porte à faux et marginalisée. Mais j'allais tenir encore jusqu'en 1961. En effet, dès ma profession en avril 1947, j'étais envoyée en fondation à Soisy-sur-Seine, à l'Epiphanie,reprise de la fondation de Sarcelles avant la guerre et qui avait été mise à sac. et était irrécupérable.


J'y suis restée jusqu'en 1952 environ. Années bénies: je suivais les cours de théologie du studium des Pères au Saulchoir, non loin, comme ceux de l'Eau Vive. Jacques Maritain,Olivier Lacombe,le Père de Menasce, le Père Guérard des Lauriers,le Père Thomas Philippe, et combien d'autres, m'introduisirent dans ce milieu de recherche de haut vol où ma propre pensée apprenait à s'exprimer, à discuter, à contredire,à douter d'enseignements d'autorité, à s'affirmer à elle-même, face à des options très autonomes.

La vie de communauté était assez fraternelle pour l'époque. J'ai beaucoup travaillé à mon atelier de reliure contribuant très efficacement aux finances de la communauté Mais ce n'était plus la belle vie monastique des Tourelles et ce n'était pas non plus la possibilité de la communication sauf au parloir avec telle ou telle, tels ou tels, avec qui j'eus des échanges d'une grande densité. J'y ai connu des amitiés dont beaucoup m'ont accompagnée ensuite, partout où je fus conduite. Continuait cette ambiguïté: ni la vie monastique, ni la vie apostolique à la manière des Pères .Forme de vie bâtarde qui se cherchait. là, comme à Montpellier. J'avais 36 ans; ma vie était dans une impasse. C'est alors que, pour la deuxième fois, le Seigneur allait ma parler coeur à coeur dans une inexprimable expérience.

C'était au printemps de 1952, je crois, très fatiguée par les veilles imposées par les commandes de reliure, j'avais la permission de ne pas suivre la vie commune. Avec une chaise longue, j'allais dans le fond du beau parc vers la Seine. La Somme Théologique de Saint Thomas ne me quittait pas, bien que je fus incapable de lire deux lignes de suite Ce qui s'est passé je ne peux que le survoler de mémoire, le ressentir comme actuel plutôt que de l'exprimer.. J'essayais en vain de lire lorsque ma pensée fût comme mue de l'extérieur. Le nom du Père Lacordaire me vint à l'esprit ; celui de Chalais aussi; je voyais une communauté, ouverte, accueillant simplement , à sa table comme à l'Office. L'oraison était comme ininterrompue, l'étude aussi. La vie de communauté était allégée ... tout un style de vie nouveau se déroulait dans ma pensée.

 Lacordaire...Chalais...je n'en savais rien, ni même que Lacordaire avait été dominicain, ni où se trouvait Chalais.
La cloche de l'office de sexte, à midi, sonna; bien que dispensée de l'office, je remontais rapidement vers la maison et j'entrais dans la chapelle, à ma place, par la porte-fenêtre, à côte de ma stalle. J'arrivais la première. Ce qui se passa alors est impossible à formuler bien que d'une extrême netteté.
 L'office terminé, j'allais au réfectoire;, le repas fini, j'allais à la vaisselle commune;puis ce fut la récréation. J'étais comme absente, pressée intérieurement : que tout finisse pour que je puisse aller à la bibliothèque.. A deux heures, la récréation finie, c'était le "silence solennel". Jusqu'à trois heures il fallait rester là où l'on était sans circuler. Je m'installais enfin à la bibliothèque et cherchais avec grande vivacité, passionnément même, dans un dictionnaire qui était Lacordaire. J'appris vite l'essentiel et je découvrais qu'il avait restauré l'Ordre Dominicain à Chalais,près de Grenoble.
Avec passion,dans un bonheur inexprimable, je cherchais Chalais sur une carte, puis tout ce que je pus trouver sur Lacordaire. C'est alors que je suis tombée sur un merveilleux petit livre:"Lacordaire à Chalais". J'étais comblée; il y avait 4 photos en sépia et, pour la première fois, je découvrais ces lieux bénis où j'étais irrésistiblement appelée.

Je m'en ouvrais à la Mère Prieure; elle se moqua sur un ton amusé. Plus tard, au Père Héris, chargé de la communauté au plan canonique et en expérimentation .Il avait eu comme Maître des novices le dernier Père qui avait reçu l'habit du Père Lacordaire et ce dernier restait auréolé de sainteté. L'Ordre en France, à l'époque, était en suspicion à Rome et là aussi, les divisions étaient douloureuses. Le Père Héris fût très positif à l'idée de faire revivre la vie dominicaine à Chalais et de proposer la sainteté du Père Lacordaire en exemple.. et il m'incita à en parler à la Prieure Générale, nouvellement élue, pour la première fois. Celle-ci m'écouta avec intérêt. Il fut décidé que je reviendrai à Montpellier pour me remettre tout à fait.

En juillet suivant j'étais autorisée à aller me reposer à ... Chalais!! En effet, ma famille de Grenoble, connaissait la famille; propriétaire de Chalais depuis les expulsions de religieux. Elle avait promis au Père Lacordaire, parait-il, de rendre Chalais à l'Ordre, qu'elle avait achetée en souvenir de lui, quand les circonstances le permettraient Déjà, parfois, l'été, des novices de Lyon venaient y faire des séjours mais aucun projet ne s'élabora vraiment. La famille accepta don avec joie ce séjour d'un mois ou deux d'une dominicaine. On me rendit ce séjour le plus attrayant possible.

De retour à Montpellier, il fût question de m'envoyer en Suède où démarrait une communauté, puis, finalement c'est à Beyrouth que je fus assignée. Deux soeurs avaient bataillé pour faire accepter d'y faire une fondation et deux autres les avaient déjà rejointes. J'ai passé un an à Beyrouth. Ce fût un immense enrichissement mais je ne mordais pas à l'arabe et Chalais m'occupait toute entière en profondeur. J'en parlais à la prieure qui compris que c'était inutile de vouloir m'en détourner et le 14 juillet 1953 je crois, ou 1954, l'avion de retour m'était offert par un éminent prêtre maronite, ami de la communauté pour qui en échange je faisais un très bel ornement ...

C'est le 6 octobre, en la fète de saint Bruno, que je gravissais à pied le sentier qui m'amenait à Chalais. Il faisait froid et il pleuvait. Mon rosaire se prit dans un buisson et j'en perdais une dizaine, semant ainsi ce qui deviendra un monastère florissant. Mais pas des Tourelles...
en effet, pendant trois ans, j'y ai suscité beaucoup d'enthousiasme à commencer par la famille propriétaire. Ma propre soeur à Grenoble m'a souvent fait porter ravitaillement et outillage.

Le maire de Voreppe, un ami ingénieur en chef des Ponts en Chaussées.. et combien d'autres m'ont permis d'obtenir une route qui allait permettre le développement considérable de cette restauration . Mais les Tourelles, freinées par certaines de mes soeurs,ne décidèrent pas la restauration. Timidité,manque d'argent,-il en faudra beaucoup aux soeurs d'Oullins qui me succéderont,-manque de soeurs,- Beyrouth était à peine implanté et la fondation de Suède venait tout juste de démarrer,-manque de confiance en moi, aussi.

Toujours effacée, ne me ralliant à aucun clan,j'avais peu d'impact dans ma communauté et je n'avais pas le relief de certaines plus brillantes. Une certaine jalousie aussi, car celles qui poussaient pour fonder étaient celles qui auraient bien voulu prendre en mains cette restauration Plusieurs en effet étaient venues faire de brefs séjours d'essai...et repartaient enthousiastes C'est ainsi que, pour la Pentecôte qui suivit l'ouverture du chantier de la route,-l9 mars 1957,-.je prenais le train pour les Tourelles, après avoir rassemblé un important mobilier et des affaires de toutes sortes, déjà accumulées!

Il y avait une statue de Notre Dame de Chalais, du XIIème ou XIIIème siècle, objet d'un culte immémorial. D'origine impossible à identifier;`elle était rare et fort attachante, souriante; elle révélait à la fois une facture soignée et une certaine naïveté.
 Dès mon départ elle disparut de Chalais..

Certains crurent que je l'avais emportée! d'autres qu'elle avait été cachée , moi partie, de peur qu'elle ne soit volée;d'autres pensèrent que la famille l'avait mise à l'abri. Bref, à ce jour on n'en a plus de traces. Un ami, maître verrier à Grenoble, qui avait fait un projet de vitraux, crut pouvoir retrouver sa trace En vain. Aujourd'hui, cette absence reste douloureuse aux soeurs qui m'ont succédée et combien je voudrais revoir cette statue dans la chapelle si bien restaurée! Que Notre Dame de Chalais me donne cette joie avant mon mon départ  définitif !!! j'ai envoyé à la communauté d'Oullins, un lot de photos de cette Vierge, dont une en couleurs, exemplaire rare pour l' époque.

Je suis rentrée aux Tourelles, profondément blessée de voir les Tourelles passer à côté d'une restauration qui aurait redonné un élan à une communauté encore incertaine d'elle-même après le" schisme".Elle ne devait plus retrouver cet élan des années qui avait précédé la guerre et encore lors de mon entrée. Mais déjà soeur Jeanne d'Arc allait apporter un puissant souffle que les Tourelles, là non plus, ne sauraient ni reconnaître, ni accompagner.

 De retour aux Tourelles, par fidélité à ma profession,j'y passais l'hiver dans une communauté morne et sans joie, indifférente à l'épreuve de l'interruption de Chalais.Beyrouth et la Suède allaient de leur propre train. L'Epiphanie avec Soeur Jeanne d'Arc et la proximité de l'Eau Vive était très animée mais sans vraie vie commune; chacune se faisait son apostolat, un peu comme des chasses gardées. Et soeur Jeanne d'Arc, infirme le plus souvent, mais fournissant un énorme travail biblique et de formation, ne recevait pas d'aide mais des reproches. Elle ne pouvait suivre la vie commune... d'ailleurs chacune avait ses occupations aussi.

J'étais donc à Montpellier et je faisais part au Père Corvez, provincial de Lyon qui m'avait tant aidée à Chalais, de l'absence de toute perspective apostolique à Montpellier et que ma santé se dégradait dans cette inactivité. Il obtint de la Prieure de me faire venir dans sa province pour m'aider à réaliser ce que je portais toujours, malgré l'échec de Chalais qui l'avait choqué aussi.

Je vins à Oullins chez les moniales C'est là qu'avec le Père Mellet, chargé des soeurs de la Province, il me présenta au nouvel évêque de Digne, monseigneur Collin, un franciscain qui arrivait de Suez, après les graves événements du Canal .Il fût entendu qu'il me prendrait, avec deux compagnes pour créer dans son nouveau diocèse une maison de vie spirituelle.
Nous avions trouvé une belle propriété près des Mées, où était l'ancien grand séminaire. Mgr.Collin le vendit pour l'acheter et nous nous y sommes installées le 30 novembre 1958 ,je crois.
Là, de nouveau, démarrage enthousiaste et beaucoup d'aides . Très vite aussi, la maison, en bon état, devint le lieu préféré des chrétiens du diocèse pour réunions, retraites, conférences .etc.. Mgr. Collin très vite décida d'agrandir. Mais il lui fallait une communauté religieuse, normalisée au plan canonique. Il demanda aux Tourelles d'assurer l'avenir. Mais, de nouveau, l'épreuve m'attendait et les Tourelles ne voulurent pas de fondation !

A mon insu, Mgr.Collin s'entendit avec la Prieure générale et son assistante pour un rendez-vous à Digne. Elles ne voulurent pas venir à notre maison de Peyruis "Notre Dame de Grâce", vocable que nous avions choisi.. Je me rendis donc à l'évéché et là, il me signifia que je devais partir. Depuis un certain temps d'ailleurs, il me l'avait fait comprendre: il voulait mettre des religieuses du diocèse. Le choc, déjà terrible,,fût aggravé du fait que la Prieure Générale me dit ne pas vouloir me laisser revenir à Montpellier, si je ne voyais pas, avant un psychiâtre. Elle était férue des nouveautés en matière psychologique et à l'Epiphanie,où elle avait été sous-prieure et hôtelière, elle fréquentait des personnalités du moment en ces domaines et passait pour psychologue elle-même.

Or, pendant le temps où j'y étais,j'avais eu une pénible démarche à faire. Elle recevait , tard le soir, dans une chambre de l'hôtellerie,un dominicain du Saulchoir, nos voisins, avec une jeune personne aux multiples maux dont ils se faisaient les thérapeutes.
C'était connu de toutes les soeurs et toutes étaient blessées n'osant rien lui dire. Une soeur particulièrement attachée à ce Père, en était jalouse; elle était peu équilibrée affectivement. Je fis donc la démarche dangereuse de dire à cette soeur hôtelière le malaise qu'elle entretenait dans la communauté. Sur le moment, très fière, très maîtresse d'elle-même, elle ne dit rien et je crus avoir été entendue. Sa vindicte se manifesta donc, des années après, quand, devenue Prieure Générale, nous nous retrouvâmes dans le bureau de Monseigneur Collin.

J'avais une compagne, une autre était repartie très vite après notre venue aux Mées. Il fallut encore du temps pour obtenir le  remboursement des investissements assez importants que nous avions faits dans cette maison diocésaine. Puis, avec une grande tristesse, nous quittions Peyruis le 19 mars 1959 pour le monastère des Cisterciennes à Maubec, près de Montélimar où la Mère Abbesse nous accueillit avec une immense charité fraternelle.

Je devais donc retrouver pour nous deux, un autre lieu où nous investir au service de l'Eglise.
Par le Père Mellet nous avons abouti dans le Bas-Beaujolais, dans une ferme prêtée. C'est de là que ma compagne, sépara de moi,tandis que je trouvais à Bully, une belle maison de pierres dorées,non loin du couvent de l'Arbresle. J'allais y rester 10 ans.. Le "Clos Notre Dame de Cana", comme Chalais, comme Peyruis, très vite attira des groupes ou des personnes qui, pour beaucoup,sont restées des amis depuis. Je fis des travaux de restauration considérables. Avec une simple convention orale, obtenue par le régisseur du propriétaire, très connu. La réussite de cette maison ne cessait de se confirmer quand le propriétaire prit peur sans doute de voir sa maison lui échapper. Il me mit en demeure de partir. Nos investissements ne furent jamais remboursés. Les travaux avaient transformé cette bâtisse délabrée en une très belle demeure aux pierres apparentes. Les groupes, les personnes individuelles l'aimaient beaucoup. L'été je pris une quarantaine d'enfants en colonie de vacances. J'avais une compagne, soeur de soeur Véronique Gariel, qui avait été longtemps hospitalisée dans des maisons psychiatriques. Elle y retrouva une vie normale. J'avais installé une petite chapelle dans une sorte de cave que l'on disait dater des premiers siècles. La chapelle principale dans une ancienne écurie superbe. L'autel était une borne antique, ronde, très belle. Tout allait donc bien lorsque, à nouveau, il fallut déménager.

Un procès fût mal mené par un avocat lyonnais de mèche avec la famille du propriétaire. J'allais en cassation mais je perdis, contre toute justice; dix ans de travail me laissaient presque sans ressources, avec une compagne que je ne voulais abandonner., une belle réussite à nouveau piétinée. Comment comprendre cet acharnement contre mes initiatives et des réussites constantes? Je n'ai pas de réponse mais j'en étais sûre: le Seigneur n'enlevait que pour faire place nette et donner davantage.


Je quittais donc Bully, le hameau d'Apinost, brisée mais paisible et sûre de l'avenir. Ma compagne vint avec moi. Nous sommes allées à Buis-les Baronnies, dans le sud de la Drôme, au Clos Saint Dominique, chez Soeur Catherine et Soeur Françoise. Je retrouvais ainsi l'ancienne prieure des Tourelles, Mère Antonin, alors, qui avait conduit le schisme de 1946 et Soeur Catherine,qui avait été la première régente des études et avait créé le studium aux Tourelles!!!. Je ne les avais pas suivies alors, mais depuis un certain temps, je les avais retrouvées à Paris et des liens s'étaient renoués après leurs épreuves et les miennes, avec des analyses voisines sur l'incapacité des Tourelles à aller au bout de leur charisme. Elles nous prêtaient leur jolie maison pour l'hiver Elles vivaient à Paris. Ce fût un hiver détendu après l'épreuve, confortable, avec un peu d'argent remboursé par Mgr. Collin.

 

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